Le pont Mercier comme symbole de revendication territoriale et identitaire
Tracey Deer cristallise cet enjeu territorial par les nombreuses scènes filmant le blocage des voies d’accès par les communautés mohawks. Le blocage du pont Mercier, point d’entrée essentiel vers le sud de Montréal, devient le symbole de cette réappropriation de l’espace et cette volonté de préserver le peu d’aires culturelles précoloniales restantes. Par cet acte, la communauté de Kahnawake revendique un attachement ancestral et identitaire au territoire sur lequel elle est installé. En empêchant l’accès à ce passage, essentiel pour traverser la rive aussi bien aux autochtones qu’aux allochtones, les Mohawks poussent à rediscuter l’organisation de l’espace et souligner les effets que la colonisation et la domination blanche ont eu sur leur territoire et leur société (Desbiens, 2011) : « changeant les trajectoires du quotidien, les barricades chamboulent la géographie sociale et, par ce fait, peuvent mener à des formes de concertation. » Ce mode de mobilisation radical ne peut qu’attirer l’attention et mobiliser les esprits, hier comme aujourd’hui :
« Deer conçoit le médium filmique comme outil de réflexion qu’elle met stratégiquement à profit pour rejoindre des publics différents. D’une part, elle cherche à générer des questionnements internes à Kahnawake et chez les communautés autochtones en général. D’autre part, elle œuvre à réduire les écarts entre communautés autochtones et sociétés coloniales. » (Gélinas M., St-Amand I., 2020)
Une vision intersectionnelle du cinéma
Le cinéma de la réalisatrice mohawk se veut militant et engagé, Beans n’étant pas son premier essai. La cinéaste a cocréé, réalisé et produit pour la télévision la série Mohawk Girls (2013-2017). Tracey Deer cherche à faire sa place dans le monde du cinéma, avec le statut fragile de femme et plus encore de femme autochtone. Malgré le succès que remporte ses productions tel que l’Hommage Diamant Birks du TIFF[1] reçu en 2016, les violences systémiques restent nombreuses dans le milieu. Les questionnements féministes sont au cœur de son travail. Les femmes ont une place prédominante dans Beans, lequel dresse les portraits de mères, d’épouses, de filles et de sœurs qui revendiquent l’importance et la légitimité de leur statut au sein de la société mohawk et québécoise. Par ses positions et son art, par les problématiques intersectionnelles qu’elle traite, Tracey Deer fait ainsi partie de ces « cinéastes autochtones qui portent aujourd’hui des propositions fortes et percutantes qui transforment le paysage médiatique et cinématographique au Québec. » (Gélinas M., St-Amand I., 2020
[1] Le festival international du film de Toronto