Depuis l’arrivée des colons français lors de la moitié du 17e siècle, les Premières Nations voient leur quotidien changé par les systèmes politiques et sociaux qui sont mis en place et par les transformations sociétales qu’entraînent des contacts interculturels. Les diverses communautés iroquoises sont reléguées dans de réserves telles que celle de Kahnawake, qui est constituée en 1667 sous le nom de « Mission Saint-François-Xavier ». Débute alors 300 ans de lutte pour les autochtones afin de préserver leur culture et leur territoire. 

Le projet de construction d’un terrain de golf sur des terres indigènes sacrées constitue un chapitre culminant de ces tensions récurrentes. Il débouchera sur la Crise d'Oka, aussi appelée « résistance de Kanehsatake » qui durera 78 jours à l’été 1990. S’emparant d’un événement traumatique qui a marqué plusieurs générations, Beans cherche à amorcer un processus cathartique, comme Tracey Deer l’observe dans une interview : « En tant que peuple autochtone, en tant que jeunes autochtones, c'est sans aucun doute un moment décisif de notre histoire. Ils [les acteurs du film] étaient tous très conscients de la crise d'Oka. » (That Shelf, 2021). Pour la réalisatrice, le film constitue un aboutissement d’un processus de construction artistique et identitaire. A l’échelle macrosociale, il participe à la construction d’une mémoire collective et d’une histoire dont le peuple mohawk n’est jamais sorti gagnant, mais qu’il peut désormais raconter à travers la caméra. 

Mobiliser des images d’archives : de la création d’une icône à une réconciliation nationale 

 Beans mêle la fiction à la sincérité brute des images d’archives. Ces dernières participent à la montée en tension du récit et structurent le film, comme un documentaire parallèle qui attesterait de la véracité du scénario. Dans le contexte politique des années 90, la crise d’Oka a reçu une importante attention médiatique, qui a contribué à la création d’une mythologie raciste désignant les hommes Mohawks montés aux barricades comme « warriors » surarmés. Le discours officiel du gouvernement québécois a participé à la diffusion de cette image comme si la « Nation mohawk » préparait sa sécession. Grâce à la fiction, Beans remet cette rumeur à sa juste place : celle d’une minorité francophone qui, peinant alors à trouver sa place dans le contexte international, recherche sa cohésion sociale contre une autre minorité.

L’espace territorial revendiqué par les Mohawks, construit comme une icône par le film et les images d’archives représente un symbole politico-religieux. Avec la mise en scène de la construction des barricades par le peuple mohawk à l’aide d’objets de tous les jours et auxquels le·la spectateur·ice peut facilement s’identifier (chaises, petit évier, vieux pneus, etc…), Tracey Deer répond aux images d’archives (tanks, armée, barbelés) qui montrent la volonté du gouvernement québécois de répondre à la population blanche qui, craignant de ne pas pouvoir user du territoire comme elle l’entend, brandit des pancartes où l’on peut lire : « Qui protège les droits des Blancs ? »

Beans serait-il alors un film « de revanche » ? Certes, les images d’archives et le scénario montrent la montée d’un racisme étatique et les tensions entre groupes sociaux autour d’un territoire cristallisant les oppositions (mémoire sacrée versus développement économique d’un loisir d’élite ; espace fermé versus espace de résidence donnant accès au travail à la ville). Mais lors du dénouement de la crise, ces mêmes images mettent en scène une cohésion nouvelle, celle des francophones et des anglophones qui se sont rassemblés pour soutenir les Mohawks. En sélectionnant ces images, Tracey Deer envoie le message selon lequel une réconciliation globale est possible : d’une part entre le Canada anglophone et francophone, et d’autre part entre le Canada allochtone et la minorité Mohawk.